
Communication présentée par Tahar Besbas, lors du conseil national du 14 octobre 2011
Le pays connait ces dernières années une crise sociale jamais vue jusque là. Cette dernière est riche en enseignements tant sur le plan sociologique que politique. Depuis le 1er janvier, la scène sociale s’est emballée. Tous les secteurs de la société ont été touchés par l’effervescence revendicative qui, en fait, témoigne d’une avidité d’expression sociale que le pouvoir a de tout temps tenté de dévoyer. Aucun secteur n’a été épargné par cette fièvre. Cette dernière, qui s’est propagée à tous les secteurs, notamment la santé et l’éducation, a touché même les corps constitués, qui sur le plan réglementaire, sont en principe interdits de manifester et d’appeler à des grèves.
Ces évènements ne sont pas le fruit du hasard. Ils résultent de l’accumulation des frustrations successives vécues par les acteurs de la société civile et les citoyens en général. Plus particulièrement depuis 1999, la gestion tribale a été cultivée par le pouvoir en place. L’enrichissement et l’impunité dont se prévalaient les clans du pouvoir ont fini par excéder. La paupérisation, l’érosion du pouvoir d’achat, les inégalités sociales, la distribution inégale des ressources, l’ascension fulgurante de certains au détriment des valeurs sociales, l’absence de promotion en dehors des règles claniques établies et admises comme normes de reconnaissance sociale, la dévalorisation du travail, la clochardisation des symboles de l’Etat : table cigarette avec portrait du chef de l’Etat, sont autant d’éléments qui ont conduit à l’exacerbation de la crise sociale.
Il est admis que toutes les situations de crise sont en générale réglées dans un cadre de dialogue entre les antagonistes. Depuis 1999, un net recul du dialogue social, pour ne pas dire sa disparition, a été observé. Le pouvoir, ayant jeté son dévolu sur l’UGTA, a finalement choisi de dialoguer avec lui-même.
Le dialogue, élément essentiel de la stabilité sociale, a été dévoyé au profit d’acquis, préalablement octroyés par le pouvoir, dans un semblant de concertation, tributaire de l’accord du président de la république. Les acquis, qui furent toujours au déça des aspirations des citoyens, sont, le plus souvent, rattrapés par des réalités nationales amères, notamment le manque de suivi dans l’application, l’inflation….
Toutes ces tergiversations engendrent inéluctablement une crise de confiance entre les citoyens et le pouvoir et tout ce qui le représente, notamment les collectivités locales, les administrations, même les réseaux sociaux sont infestés par des officines. Le désintérêt est tel que le citoyen fuit tout ce qui émane du pouvoir. Ce dernier a réussi de cette manière à faire reculer la notion de démocratie participative, gestion active du citoyen dans les affaires publiques. Les élections sont discréditées. L’Algérien est arrivé à se convaincre que tout est fait d’avance et que cela ne sert à rien de tenter quoi que se soit. Combien de fois a-t-on entendu dire : Bouteflika sera président en… Le transfert de la souveraineté populaire vers d’autres centres de décision est ainsi intériorisé par le citoyen.
Depuis pratiquement deux ans et plus spécialement depuis le dernier coup d’Etat constitutionnel de 2008, le pays est entré dans une zone de turbulences ou les situations conflictuelles se multiplient de jour en jour. On a recensé environ 1317 manifestations lors du premier semestre 2011 et plus de 10 000 manifestations tout type confondu en 2010. Ce qui équivaut à 27 manifestations par jour. Ces conflits sont de deux ordres :
- Des conflits organisés (manipulés ou non).
- Des conflits désorganisés.
Les conflits organisés concernent en général le monde du travail. C’est dans un cadre structuré et assumé que ces conflits ont lieu. Les syndicats ont été les principaux animateurs de ces manifestations. Les organisations les plus en vue sont le SNPAP, le SNPSP, le SNPSP, le CNAPEST, le SNAPEST, l’UNPEF et le CLA.
Les manifestations désorganisées ont été menées par des citoyens au décours de situations de passe droit, de violation de la loi par l’administration, des précarités aigue de la situation sociale des populations etc… Ces manifestations ont occasionné plusieurs dégâts matériels et même parfois humains, comme l’assassinat de citoyens par les forces de l’ordre et l’armée en début de l’année.
La société civile a été très présente aussi. A l’initiative de la CNCD, plusieurs organisations de la société civile ont marqué de leur empreinte, d’une manière ou d’une autre, la scène sociale. Nous préciserons tout de même que certaines ont été infiltrées et actionnées, pour freiner la confluence des forces de la société civile. La marche du 22 janvier 2011, les actions menées ensuite dans le cadre de la CNCD ont permis de casser le mur de la peur, rendre visible les acteurs sociaux revendicateurs, affirmer le caractère politique de la crise sociale et enfin proposer une solution politique à la crise à travers la plate forme pour le changement et la démocratie.
Les intellectuels et autres personnalités qui ont participé aux deux premières marches ont vite reflué, attestant de fait, que les élites algériennes ne sont pas en mesure d’assumer dans la durée un combat d’avant-garde.
S’appuyant sur la rente pétrolière et une gestion clientéliste des richesses du pays, le pouvoir a réussi, jusque là à différer l’explosion sociale. Ayant essayé d’instrumentaliser les évènements de janvier 2011 pour rétablir des équilibres en son sein, les dirigeants ont été pris de cours par l’initiative du RCD du 22 janvier 2011. Par la suite la dynamique enclenchée par la CNCD, a poussé le pouvoir à laisser les querelles de clan pour parer au plus pressé : se maintenir coûte que coûte dans un contexte marqué par le soulèvement des populations en Tunisie et en Egypte.
Passé l’euphorie des augmentations salariales et l’impossibilité de satisfaire la demande sociale, le pouvoir se retrouvera tôt ou tard face à la colère sociale. Ce report, encore une fois de l’embrasement, risque de nous mener vers une situation de rupture de confiance totale, source de radicalisation des mouvements sociaux. La fragilité ambiante du système aidant, fera le lit d’une révolte dont les conséquences seront malheureusement inévitables et imprévisibles.
La grande satisfaction réside dans le potentiel jeunesse qui a suivi et relayé les mouvements de protestation. Lors des évènements du premier semestre 2011, nous avons constaté l’émergence d’une jeune génération, prête à lutter pour un changement de système et une Algérie démocratique et sociale. Même formée dans des conditions aléatoires, ces jeunes sont à même de relever les défis.
Englué dans ses contradictions, le pouvoir recours, d’une part à l’achat de la paix sociale, en dilapidant environ 39Milliards de dollars en l’espace de 06 mois, d’autre part, pour la consommation extérieure, il organise un simulacre de dialogue dans le cadre d’une tripartite ou les partenaires sont triés sur le volet.
Espace de dialogue et de concertation, la tripartite, est une fois de plus piétinée par le pouvoir. Ne pouvant se départir de ses habitudes, ce dernier à encor humilié le monde du travail à travers son représentant désigné. Ne cédant sur aucune revendication sociale d’un partenaire pourtant docile, le pouvoir a violé la convention 144 de l’OIT sur les consultations tripartites. Il a consacré la pluralité de la représentation patronale tout en la refusant au monde du travail.
Cette consultation fût un échec total. Ce dernier réside dans la double illégitimité des acteurs de la tripartite. Les syndicats autonomes, qui jusque là ont animé la scène sociale sont plus représentatifs et plus proches des réalités du monde du travail. L’UGTA, béquille sociale du pouvoir, est disqualifiée. Elle est incapable de mener des négociations sérieuses, d’autant plus que la prescription dans l’affaire El Khalifa, dans laquelle est englué son SG, n’a pas encore été consommée.
Face à une absence de stratégie, on observe que le sommet du pouvoir hésite et se contredit. Pendant que les membres du gouvernement sont sommés de déclarer que la crise est exclusivement sociale, le chef de l’Etat, les prenant à revers, décrète le 15 avril que la crise est politique et qu’elle appelle des réformes structurelles profondes.
En fait les deux ont raison, l’impasse politique à produit une crise sociale qui n’épargne aucun secteurs.
Dr Tahar BESBAS
Secrétaire National aux affaires sociales